24 janvier, 2006

Quand je vois ce que je vois et que j'entends ce que j'entends, ne vous étonnez pas que je pense ce que je pense.

C’est vrai que je me suis un peu emporté sur mon dernier post. Et c’est vrai que le style était franchement amer et désabusé. C’est aussi vrai que je l’ai écrit la veille de ma rentrée et que la perspective de retrouver mon ramassis de mongoliens ne m’enchantait que moyennement. Et c’est vrai qu’après quinze jours en Europe, apprendre que ma voiture est bonne pour la casse et que je vais devoir conduire un merde d’occasion en attendant de dépenser une partie de mes faibles économies dans un véhicule, que je vais galérer dans des supermarchés pour trouver du Roquefort à 7$ les 100 grammes, que je vais me voir interdit de fumer partout et de boire dehors avaient augmenté la frustration d’enseigner à des amibes sur pattes.

Cette aigreur passée, je me dois aujourd’hui de relativiser mes propos du 8 janvier. Ou plutôt de rentrer dans certains détails qui feront comprendre au lecteur assidu ce que j’entendais par « maturité d’enfants de 8 ans ». J’ai aussi oublié de mentionner le choc culturel. Ou je n’ai pas assez donné d’exemples et suis resté évasif. Et surtout j’étais franchement énervé par la colère. Tatintin !

Alors évitons de faire des phrases comme les marins employés de feu Le Mexicain et faisons un inventaire non exhaustif des conneries entendues et vues dans mon école.

Imaginez un grand gaillard de 15 ans, mesurant 1m85 (6’2’’ en feet et inches), avec une voix qui a déjà muée, un duvet plus que naissant qui l’oblige à se raser plus souvent qu’un certain mâle de ma connaissance, membre émérite de l’équipe de basket-ball du lycée. Imaginez-le noir, dans un quartier de Los Angeles gavé de gangs et de gros méchants. Habillez-le avec l’uniforme de l’école : pantalon beige (genre Dockers), polo noir et chaussures/baskets noires ou blanches. En plus, il est plutôt beau gosse. Don Cheadle jeune en plus grand. Imaginez-le traînant sa grande carcasse dans les couloirs de l’établissement avec sur le dos un sac à dos en plastique imitation cuir de … Spiderman.

Imaginez une conversation surprise avant un cours entre deux de mes élèves. Les amoureux de la VO m’excuseront la traduction, mais je me dois à un certain public ayant une aussi bonne compréhension de l’anglais que moi du russe (le même que le rasage…).

« Mais si elle existe !
- Mais t’es trop bête, bien sur que non !
- C’est mon père qui me l’a dit !
- N’importe quoi…
- Monsieur, elle s’adresse à moi, n’est-ce pas que la fée Clochette existe ?
- Bien sûr. Comme le Père Noël. »

Regard interloqué et incompréhension d’un côté. Demi-sourires sans vraiment savoir à quoi s’en tenir de l’autre. Fin de la conversation, début du cours.

Imaginez un professeur français (c’est moi), arrivant d’un établissement français à l’étranger où il travaillait 25 périodes de 50 minutes par semaine (contre 18 de 55 minutes en France), où la directrice devait prendre des pincettes pour faire venir l’équipe pédagogique à des réunions non-payées en heures sups une fois tous les deux mois, où rester sur le campus après 16h30 était douteux et vous faisait passer pour un misérable fayot, où la révolte grondait à la veille des réunions parents-profs parce qu’encore non-payées en heures sups, où le rythme scolaire français était sensiblement respecté (1 semaine à la Toussaint, 1 semaine en Février, 1 semaine à Pâques) en plus du 11 novembre et de Thanksgiving, où l’on partait une semaine au ski pendant les cours et l’on glandait dés le 15 juin ; imaginez donc ce mec arrivant dans un lycée du sud de Los Angeles où :
- la pré-rentrée est le 15 août pour une rentrée le 6 septembre ;
- les premiers semblants de congés sont fin novembre pour Thanksgiving (4 jours) ;
- il doit être présent sur son lieu de travail de 8h10 à 15h20, même s’il n’a pas cours (4 heures dans la semaine) ;
- la direction demande de mettre à disposition des heures de bureaux (au moins deux par semaine) après les cours pour que les glandus qui ne branlent rien en classe viennent faire des exercices supplémentaires dans le but de remonter leur moyenne désastreuse (il n’est absolument pas question de comprendre ou apprendre quoique ce soit) ;
- il y a une réunion hebdomadaire de deux heures le vendredi matin, utile 1 fois sur 10 ;
- on a une demi-heure pour le déjeuner ;
- et surtout, on nous demande si on ne veut pas rester en juillet pour la summer school.

Imaginez lors d’une ces réunions inutiles, sur la pédagogie différenciée cette semaine-là, la directrice adjointe qui nous dit le plus sérieusement du monde qu’en tenant compte des élèves à qui nous enseignons (70% de noirs et 30% de latins) et du passé de ces populations (esclavage-champs-de-coton-gospel-indiens-pow-wow), il peut être judicieux de les faire apprendre à l’aide de rythme et de la musique, parce qu’ils ont ça dans la peau.

Imaginez-moi, dans le silence relatif de ma classe, alors que je me démène pour la énième fois à leur expliquer la différence entre angles aigus et angles obtus, entendant la mélopée lancinante et fausse d’une élève mélomane, le ronflement d’un dormeur, les gloussements indécents des enthousiastes quand ils lèvent la main pour intervenir, les cris de rage d’une désespérée qui vient de casser la mine de son crayon et une symphonie pour crayons, table et accessoires de bureau. Mais bon, ils ont ça dans la peau.

Imaginez-moi ce midi lors d’une discussion avec mes collègues, me rendre compte qu’ils sont aussi désabusés que moi sur la connerie, la fainéantise, l’irresponsabilité, l’immaturité de nos ouailles et que nombres d’entre eux envisagent aussi de partir de cette école à la fin de l’année. Imaginez aussi qu’ils ne trouvent rien d’anormal aux heures de bureaux à la con et au fait d’être tout le temps sur place.

Imaginez-moi au volant de ma Golf, rouge, intérieur en cuir noir, décapoté, sur l’autoroute, cheveux au vent, écoutant du rock californien AFLB, regrettant d’avoir oublier ma casquette parce que le soleil tape un peu fort aujourd’hui. Aucun rapport avec le reste, mais j’avais envie de dire qu’il fait beau, chaud et que j’ai une nouvelle voiture (rapport à l’autre qui est à la casse).

La prochaine fois, faites-moi penser à vous parler de Footloose.

A bientôt.

3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour Sebastien,

Alors Topaze se rebiffe (comme le cave). Ben alors, tu devrais être content, tu vas pouvoir enfin concilier tes deux passions : faire ton shows et chanter. Pour une fois, tu as de la chance, l'administration t'encourage 2 fois par semaine pendant tes heures de bureaux à chanter devant tes élèves. Je te vois déja tout en haut de l'affiche, en deux fois plus grand, tes exercices s'étalaient... Ah démontrer le théorème de Pythagore sur du Dario Moreno (coucouroucou !), faire de la géométrie en chantant Luis Mariano, alors là vraiment, je ne comprends pas pourquoi, tu te plaint... Enfin, si tu veux vraiment avoir la classe, tu me commande une Logan, promis, tu auras la casquette et l'autoradio avec. Allez ciao, camarade.
Fab C.

mercredi, janvier 25, 2006 4:44:00 AM  
Anonymous Anonyme said...

Je n'oserais me sentir concerné par quelques flèches particulièrement perfides... Courage ma caille, après le pain noir viendra le pain blanc...
Pierre B.

mercredi, janvier 25, 2006 5:42:00 AM  
Blogger Sebas said...

Merci les mecs !

Et puis, mon Titou je n'ai pas trouve d'autre moyen de te rendre hommage.

Becots les mecs.

mercredi, janvier 25, 2006 9:15:00 AM  

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